Sacré meilleur chef végétal au monde, René Mathieu est à la tête du restaurant étoilé du Château de Bourglinster, au Luxembourg depuis 2005. Ce belge qui a notamment travaillé au Palais Grand-Ducal, réinvente la cuisine en se tournant vers le végétal. Homme de son temps, il exerce un regard critique sur la façon dont on s’alimente aujourd’hui et s’inspire de la nature dans une approche plus simple et intuitive. De sa philosophie à ses conseils concrets pour mettre plus de végétal dans nos assiettes, rencontre avec un passionné !


INTERVIEW

Sustainability Mag : Comment qualifieriez-vous la philosophie de votre cuisine ?

René Mathieu : La philosophie de ma cuisine gravite autour de notre rapport à la nourriture. Peu à peu, nous nous sommes distanciés de ce qu’il y a dans nos assiettes. Il est essentiel de renouer avec la nature qui nous nourrit et plus particulièrement d’explorer l’univers merveilleux du végétal que nous avons oublié. Je travaille sur les souvenirs gustatifs des anciennes générations ou je créé des nouveaux imaginaires pour les jeunes. Ma signature est de cuisiner avec ce que l’on a autour de soi, avec des produits locaux, de saison, pour certains méconnus et pour d’autres très communs : potiron, betterave, poireau... 

Je cherche à transmettre un état d'esprit : celui de sortir de sa zone de confort et de changer ses habitudes, même si cela fait peur. Si vous continuez à explorer, vous vous rendez compte à un moment donné, et bien que la vie est magnifique ! Beaucoup redoutent l’idée de ne pas manger de viande. Nous montrons que le végétal est un monde incroyable qui a beaucoup à offrir à nos sens mais aussi d'un point de vue nutritif.

« LE VÉGÉTAL EST UN MONDE INCROYABLE QUI A BEAUCOUP À OFFRIR À NOS SENS MAIS AUSSI D'UN POINT DE VUE NUTRITIF »

Quel est chez vous le processus créatif qui aboutit à un plat végétal ?

Il s’agit avant tout d’intuition. Si les cinq sens sont utilisés pour voir, écouter, sentir, toucher, goûter, pour moi il existe un sixième sens : l'intuition. Elle est en chacun de nous et va nous diriger vers certaines plantes. Les animaux sauvages se nourrissent ainsi. Nos ancêtres faisaient pareil, mais cet instinct a disparu parce que la nourriture est déjà sélectionnée pour nous et elle ne répond plus à nos besoins nutritionnels. À chaque saison et selon la météo, je sors en forêt pour repérer ce qui est en abondance et ce qui ne l’est pas. Où et comment poussent les plantes ? Sont-elles dans des endroits humides ou pas ? C’est avant tout un travail d’observation. En cuisine, avec mon équipe, je tente d'assembler les végétaux en fonction des goûts, textures et couleurs. Je prends en compte les apports mutuels de chaque produit : par exemple, pour assimiler la curcumine, il faut de la pipérine car autrement le corps ne l’assimile pas. C'est beaucoup d'essais. Ma créativité est guidée par la nature.              

Photo : IMS Luxembourg

Sélection de différentes plantes sauvages utilisées par le Chef René Mathieu pour composer ses plats.

Ce lien puissant avec la nature, vous l’avez depuis votre enfance ?

Ce sont mes grands-parents qui m'ont transmis ce lien qui eux-mêmes l’avaient reçu de leurs aïeux. Mon grand-père, était garde-forestier. La forêt n’avait pas de secret pour lui. Je passais toutes mes vacances en sa compagnie, et il y avait une multitude de choses à découvrir et à expérimenter. Ma grand- mère m’a également transmis ses notes de cuisine - pas exactement des recettes ! -, qui elle-même les avait reçues de ses grands-parents. Cette transmission de savoirs a joué un rôle important pour moi et je pense que sur tous les plans, il est vain de faire évoluer le monde sans cette transmission intergénérationnelle.

Photo : IMS Luxembourg

Il y a encore quelques années, votre restaurant La Distillerie proposait des plats avec de la viande. Quelle a été votre motivation pour effectuer un tel virage dans votre offre et ne proposer que de l’alimentation végétale ?

Vers 50 ans, il y a un moment où vous faites le point dans votre vie et vous vous dites : « qu'est-ce qu’il me reste à accomplir ? » Ma préoccupation était alors de vieillir en bonne santé et c'est cela qui a tout déclenché. Mon enfance m’est soudainement revenue en pleine figure. Pourquoi mes grands-parents avaient-ils vécu aussi longtemps ? La réponse était claire : en mangeant de la façon la plus rudimentaire possible, sans avoir fait d’excès. Ils ne mangeaient pas beaucoup, mais de façon saine. C'est la nourriture qui fait que vous restez en pleine forme. Et je me suis dit que, peut-être, la clé du secret d’une vie longue et en bonne santé, ce serait de se nourrir avec les végétaux.                       

J’avais déjà une passion pour le végétal mais c'est à ce moment que j’ai décidé de m’y consacrer pleinement. Il n’existait pas de cuisine 100% végétale autour de nous, alors nous nous sommes lancés. L’idée d’avancer pour un monde meilleur, même si c'est peut-être utopique de penser cela, moi, cela me réconforte et me rend heureux ! Cela me permet de me sentir bien dans mes baskets, d'avoir toujours cette énergie et cette passion. Et je trouve cela génial, quand je pense à des chefs de mon âge qui ont fini leur carrière, ils sont dans leur fauteuil, dans leur canapé, en train de regarder la télé. Moi, je n'ai pas envie de cela. J'ai envie de transmettre, d’expliquer et d’innover.          

« JE ME SUIS DIT QUE, PEUT-ÊTRE, LA CLÉ DU SECRET D'UNE VIE LONGUE ET EN BONNE SANTÉ, CE SERAIT DE SE NOURRIR AVEC LES VÉGÉTAUX »

Votre cuisine répond à une préoccupation santé grandissante au sein de la population...

Tout à fait. Nous nous rendons compte ici au restaurant du nombre de personnes atteintes d’allergies. Cela ne fait que croître. Et pourquoi ? Parce que notre système immunitaire est en permanence attaqué. Celui-ci se renforcera par une alimentation variée et saine. Ma clientèle ne vient pas que pour manger, elle vient pour s’enrichir de ce qu’on a à dire. Mon but est d’utiliser les plantes pour ce qu’elles apportent au niveau gustatif parce que c’est mon métier, mais aussi pour leurs bénéfices santé. 

Il faut revenir à l’essence des végétaux. Un légume, vous allez en prendre soin en le transformant le moins possible. La cuisine doit rester lisible, c’est-à-dire que, si vous mangez une carotte, vous devez savoir ce que c'est. La carotte dans l'assiette, ce n'est pas une mousse !

Photo : IMS Luxembourg

Le Chef René Mathieu et son associé Mario Willems (MyRoots) préparent les plats qui seront servis et commentés lors de la table-ronde "Behind your food" au Luxembourg Sustainability Forum 2023

Vous disiez lors du Luxembourg Sustainability Forum en octobre dernier « Si tous les besoins nutritifs sont couverts, alors nous n’avons pas besoin de grosses quantités ». Mangeons-nous trop ?

Notre corps possède deux cerveaux : notre cerveau cérébral, très cartésien, et puis le second dans le ventre, digestif, très important et que nous n'écoutons généralement pas. Lorsque nous mangeons, notre cerveau digestif met vingt minutes à envoyer le message de satiété. Il faudrait donc manger à 80% pour se sentir bien après le repas. Aujourd’hui, nous mangeons trop, à 100%, sans prendre le temps d’être rassasié.

Il existe des régions dans le monde, des zones bleues, où les personnes sont centenaires, comme en Grèce, au Japon ou dans le sud de l’Italie. Pourquoi ces gens vivent-ils plus longtemps ? Plusieurs raisons sont avancées : l’exercice, la réflexion, la vie sociale sont très importants, mais surtout, ils mangent peu, à 80%.

« LES CUISINES VÉGANE ET VÉGÉTALE SONT À BIEN DISTINGUER. DANS NOTRE RESTAURANT, NOUS UTILISONS LE VÉGÉTAL LE PLUS NATUREL POSSIBLE, SANS TRANSFORMATION »

Vous semblez ne pas apprécier le terme “vegan”. Pourquoi ?

Le véganisme est un style de vie et chacun est libre de faire ce qu’il veut. Le problème c'est que la plupart des gens ne savent pas cuisiner et vont chercher dans les grandes surfaces une cuisine de substitution : du fromage végétal, de la viande végétale...

Ils recherchent la même chose qu'une cuisine classique, mais en version végétale. Mais vous ne pouvez pas faire de la viande avec un légume, sauf si vous le transformez. Donc il faut bien comprendre que cela veut dire additifs et perte de nutriments. Souvent les vegans sont en carence.

Ici, les cuisines végane et végétale sont à bien distinguer. Dans notre restaurant, nous utilisons le végétal le plus naturel possible, sans transformation. Aussi, même si nous cuisinons sans matière d’origine animale, nous pouvons faire une exception : nous ne nous privons pas d’utiliser le miel. Nous ne voyons pas de souci avec cela car il s’agit d’un produit naturel et nous avons besoin des pollinisateurs.

Vous dites « C’est bien de parler de l’alimentation végétale, maintenant il faut agir ». Qui doit agir en priorité selon vous ?

Le mouvement doit venir des consommateurs. Prenons l’exemple de la chaîne McDonald, elle existera tant que des gens iront là-bas. Pareil pour les fraises, tant qu’il y aura des gens qui voudront manger des fraises en hiver, elles seront sur les étals. Donc il s’agit de changer sa façon de consommer : si ces produits sont boycottés, il n’y en aura plus. Nous sommes tous responsables. Il faut manger local et respecter les saisons. 

Photo : IMS Luxembourg

La « feuille » de René Mathieu : feuille de consoude, crème de graine de tournesol et quelques girolles.

Quels sont vos conseils concrets pour ceux qui veulent démarrer une alimentation plus végétale, locale et saisonnière ? 

Venir faire une cueillette avec nous ! (rires) 

La première étape consiste à se familiariser avec la nature, c'est le plus important. Aller se balader dans la nature, s’y intéresser, voir comment elle évolue au fil des saisons. Cela permet de voir que l’offre de fruits et légumes en supermarchés ne respecte pas cette saisonnalité. Or, il y a une logique nutritive dans les saisons : en été, des salades ou tomates vont nous hydrater, alors qu’à la saison froide, les potirons nous tiendront davantage au corps. Les fruits exotiques par exemple, qui voyagent des kilomètres, n’ont pas leur place dans les magasins.

Photo : IMS Luxembourg

Champignons de Paris, pâte levée à la farine de chanvre, quinoa, feuille de noisetier, huile de noisette et crème de lait végétal.

Quelle place pensez-vous occuper dans le débat public autour de l’alimentation de demain ?

Transmettre son savoir, ses connaissances est probablement ce qui me tient le plus à cœur. Par exemple, l'année prochaine, j’apparaîtrai dans des manuels scolaires pour essayer d'inciter les jeunes à mettre une image sur ce qu'est une approche durable. Au restaurant, je cherche à inspirer une autre façon de voir la cuisine, proche de la nature et inciter ainsi les gens à sortir de leur zone de confort. Bien sûr et avant tout, dans le respect. Cette notion est cardinale pour moi et mon équipe. C’est aussi celle qui définit le développement durable, non ? Trouver un mode de vie respectueux des futures générations.

Le saviez-vous ?

Fast and Curious

- La cuisine végétale en trois mots ?                       

Bien être, santé, gourmandise 

- Si votre cuisine était une musique, ce serait... 

Rock’n’roll                      

- La meilleure saison pour faire votre cueillette ?

Toutes les saisons sont belles, mais je dirais le printemps 

- Votre plante préférée ? 

L’angélique, c'est le nom de ma femme ! (rires)