Photo : IMS Luxembourg

Jade Verda, Justine Sène et Pauline Lida sont les trois co-fondatrices du collectif artistique et activiste Minuit 12. La troupe de danse a sublimé l’édition 2023 du Luxembourg Sustainability Forum avec plusieurs extraits de son spectacle « Écume » : une esthétique saisissante, un lien sensible pour nous parler autrement des questions écologiques. Retour sur ces moments forts en émotions et découverte d’un collectif qui n’a pas fini de faire parler de lui.


INTERVIEW

Sustainability MAG : Votre spectacle a été un fil conducteur du Luxembourg Sustainability Forum (LSF), avec plusieurs performances ponctuant les différentes séquences du forum et une conclusion sur un message commun. Comment avez-vous vécu cet évènement ?

Pauline Lida : Pour nous, intégrer l'art dans le LSF a été une chance. Être aussi bien intégrées à la programmation une première et fait totalement sens. Il est important pour nous d'être présentes lors de conférences comme celles-ci car les préoccupations que nous soulevons sont les mêmes. Nous pensons qu’elles peuvent être également approchées par le corps et le sensible, le message est ainsi peut-être plus fort. Ressortir en ayant eu des émotions, des sensations, c’est aussi cela que l’on garde comme souvenir. Nous-mêmes, en dansant, nous ressentons des émotions et le LSF était un très bon moment, avec de très bonnes vibrations.

On vous décrit souvent comme des « artivistes ». Quelle est la raison d’être de votre collectif et comment vous est venue l’idée de sa création ?

Jade Verda : Minuit 12 est né en 2021. Sa création répondait initialement à un besoin personnel. Nous voulions parler artistiquement des sujets qui nous touchaient. Nous avons donc commencé par les sujets de la biodiversité et de l’eau, ce qui a donné naissance à notre création « Écume ». C’est notre fondation, autour de laquelle nous avons commencé à rassembler différents artistes engagés en faveur de la cause environnementale.

Pauline Lida : Aujourd’hui, le collectif est un mélange de différents artistes : danseurs et danseuses, compositeurs, compositrices et scénographes. Par exemple, Ines, aussi présente au Luxembourg Sustainability Forum, est beatmakeuse et a composé l’intégralité des musiques d’ « Écume ». Nous avons cette volonté de lier les arts entre eux et de ne pas mettre de frontières. Ensemble, nous voulons mettre nos créations au service de nos causes. Nous nous définissons comme un collectif artistique et activiste. Rapidement, nous nous sommes rendues compte qu’il y avait une demande du public. Nous avons eu des réactions auxquelles nous ne nous attendions pas. Les gens disaient : « Vous nous parlez d’une réalité que l’on connait déjà, mais vous apportez une façon nouvelle de la percevoir ». C’est ce qui a vraiment propulsé notre aventure.

« Nous voulons mettre nos créations au service de nos causes »

Avez-vous toujours dansé pour faire passer un message ?

Pauline Lida : Pour ma part, j’ai une formation de danseuse classique et jazz. J’ai notamment étudié la danse aux Etats-Unis où il s’agissait essentiellement d’une recherche d’amélioration technique. C’est à partir du moment où j’ai commencé à chorégraphier, à créer des histoires que j’ai pu me diriger vers les thématiques qui me parlaient. Ce n’était initialement pas une volonté militante de danser. Mais les sujets se sont imposés et ma danse s’est enrichie en sens.

Justine Sène : De mon côté, j’ai commencé la danse lorsque j’ai découvert le waacking, une danse née dans les années 1970 dans les clubs gais afro-latino des Etats-Unis. C’est une danse très revendicatrice, un moyen d’expression pour ces communautés. C’est un espace de liberté. Grâce à cette danse, j’ai trouvé un sens à ce que je faisais.

Parlez-nous de la force de la danse. En quoi l’esthétique de la danse est-elle un moyen particulièrement efficace pour véhiculer un message ?

Justine Sène : Pour s'engager et avancer aujourd'hui, nous avons tous et toutes besoin d'une connexion sensible. Les chiffres sont connus depuis des années. S’ils suffisaient pour faire changer les choses, nous aurions déjà opéré le changement nécessaire il y a longtemps. L’art est un vecteur de récits et d’images. La danse est la création de liens sensibles avec les milieux naturels. En se reconnectant à sa chair, on gagne en motivation. Cela peut enclencher une volonté d’engagement. C’est la création de ce lien sensible par la danse qui est important pour nous.

Jade Verda : Oui, et les mouvements ont le pouvoir de se transmettre. Lorsque l’on regarde quelqu’un danser, on a envie de danser et notre cerveau s’imagine même danser. C’est une pratique engageante qui emmène les gens dans le mouvement. Notre vocation est aussi de pratiquer la danse participative et d’ouvrir des performances collectives dans l’espace public, danser et utiliser son corps. Nombreuses sont les personnes qui ont les questions environnementales chevillées au corps et pour qui l’invitation à s’engager par le mouvement résonne positivement, et constitue une source d’espoir. C’est aussi l’idée de notre court-métrage « On n’arrête pas un peuple qui danse ».

« Nombreuses sont les personnes qui ont les questions environnementales chevillées au corps et pour qui l'invitation à s'engager par le mouvement résonne positivement, et constitue une source d'espoir »
Photo : IMS Luxembourg

Quels sont les sujets qui vous tiennent particulièrement à cœur d’aborder aujourd’hui ?

Pauline Lida : Nous parlons beaucoup de sujets environnementaux parce que nous sommes conscientes que ces enjeux vont amplifier les problématiques sociales existantes. En s’intéressant à l’environnement, nous touchons ainsi de nombreuses autres thématiques. L’une des questions qui nous anime également est l’engagement. Nous travaillons en ce moment sur notre nouvelle pièce qui explore cette notion, cette envie de dire « STOP » lorsque collectivement nous n’allons pas dans la bonne direction. Bref, être une voix dissonante et réorienter le cours des choses. Nous nous produisons dans des lieux très variés. Nous voulons ainsi « sortir des théâtres », nous cherchons à nous adresser à des publics différents car ces sujets concernent tout le monde.

Votre spectacle « Écume », que vous venez de définir comme votre création fondatrice, et dont des extraits ont été produits lors du Luxembourg Sustainability Forum, aborde la thématique de l’eau. Pourquoi avoir choisi de sensibiliser autour de ce sujet ?

Pauline Lida : Ce sujet, comme l’ensemble des thèmes que nous abordons, n'a en fait pas été le résultat d’une réflexion mais il s’est imposé, car il nous touche. En l’occurrence, j'ai commencé a imaginé cette création durant la période de confinement. Il s’agissait d’une quête de sens à un moment où tout en manquait cruellement. J’ai toujours été fascinée par l’eau d’un point de vue esthétique et chorégraphique. Lorsque l’on s’intéresse à l’eau, de nombreuses problématiques environnementales sautent aux yeux. On comprend le rôle qu’elle joue pour la vie sur Terre et l’impact que l’on peut avoir. Ce sujet me passionne, me fascine et en même temps m’inquiète. Ce cocktail d’émotions constitue la base de cette création. On l’a fait ensuite germer collectivement en y intégrant nos questionnements, nos intérêts. Nous sommes aussi allées à la rencontre d’experts du sujet. Nous nous sommes nourries de ces informations et cela a influencé notre processus artistique. C’était notre première réalisation au complet : écriture, chorégraphie, costume, musique.

Photo : IMS Luxembourg

Quelle prochaine création signée Minuit 12 pourrons-nous découvrir bientôt ?

Jade Verda : Notre prochaine création s’intitule « La Baston ». C’est l’histoire d’une équipe de cinq femmes qui montent un collectif de désobéissance civile. Nous explorons corporellement les actions telles que les liens entre personnes lors de blocage et le délogement par les forces de l’ordre. Ce sont des actions non-violentes qui se traduisent chorégraphiquement par des corps mous. Nous nous inspirons de la réalité sociale que nous voulons traduire sur scène.

Pauline Lida : Notre grand projet est aussi d’ouvrir l'espace de danse. Bousculer les lieux de représentations est dans le cœur du collectif : briser les frontières entre le monde institutionnel et le militantisme. Nous voulons aller plus loin sur cet aspect. Aujourd’hui notre travail se traduit aussi par des créations aux formats photos et vidéos. Nous avons ainsi réalisé le projet « Magma », comprenant un court métrage, une exposition, un festival et une déambulation artistique dans Paris. Nous sommes perpétuellement en recherche de canaux variés pour collaborer avec le plus d’artistes possibles. Nous ne sommes pas un collectif fermé. Dès que nous sortons des sentiers battus, nous découvrons des personnes voulant nous rejoindre et mettre ce qu’elles aiment au service de ce qui les touchent. Ainsi les projets grandissent et notre collectif aussi. <

Collectif Minuit 12

Le Collectif Minuit 12 est un collectif d’artistes engagés né d’un besoin d’expression. Fondé en 2021, il réunit des artivistes luttant à travers le mouvement et le sensible contre la dégradation de notre environnement. À travers le corps, ces artistes créent des prestations de danse mais aussi des musiques et vidéos.