Photo : Marc Verpoorten

Le système agricole est au coeur de la tourmente : conditions climatiques extrêmes, pression réglementaire, dépendances aux intrants chimiques, appauvrissement des sols et effondrement de la biodiversité... Le modèle qui nous nourrit, fondé sur une approche mondialisée et d'hyperspécialisation des cultures et des élevages, est à bout de souffle et doit se réinventer en profondeur afin d'assurer notre résilience alimentaire. La « Ceinture Aliment-Terre de Liège » (CATL) a été créée en 2013 pour fédérer, accompagner et promouvoir un modèle local durable. Les résultats sont-ils à la hauteur des espoirs ? Petit tour d'horizon d'un projet qui souffle cette année ses dix bougies.

L’initiative a vu le jour grâce à un panel d’acteurs divers mais intrinsèquement liés réunissant citoyens, secteur économique, culturel ou encore associatif. Son objectif ? Atteindre à terme 50% de consommation locale et saine sur le territoire de Liège et de ses environs. Plus donc de souveraineté alimentaire, un tissu économique et social renforcé, des pratiques durables, et in fine des habitants bénéficiant d’une meilleure alimentation : un modèle revisité de la fourche à la fourchette. Depuis son développement, la plateforme a permis de cartographier un grand nombre de producteurs, transformateurs et distributeurs. Des formations et projets d’études ont été mis en place afin de soutenir toute personne souhaitant s’engager. Au total, une quinzaine de nouvelles coopératives ainsi qu’une septantaine de maraîchers en province de Liège permettent aujourd’hui de faire fonctionner cette ceinture. D’autres structures érigées par les pouvoirs publics locaux viennent prêter main forte à ce projet : ainsi les 24 communes de l’Arrondissement de Liège sont pleinement impliquées et les 20 communes francophones de l’Arrondissement de Verviers apportent leur soutien via le développement du Réseau Aliment-Terre verviétois.

Photo : Idrisse Hidara

Visite guidée

Petit tour du côté du quartier liégeois de Sainte-Walburge. Ici, le groupe de maraîchers
« Pousses Poussent » a vu le jour grâce à un dispositif particulier connu sous le nom de Créafarm. Initiée par le Département du développement économique et territorial de la Ville de Liège en partenariat avec la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise, cette méthode donne accès à des terrains communaux et permet le développement de l’agriculture urbaine. Pour Pousses Poussent, le principe est clair : les 2/3 de la production sont à destination de la cueillette locale, c’est-à-dire que tout individu peut venir seul ou en famille récolter les produits cultivés par les maraîchers. Ce modèle de récolte individuelle s’intitule « Community Supported Agriculture (CSA) » et permet à tout un chacun de payer une cotisation annuelle et variable pour réaliser sa collecte pendant l’année. Le dernier tiers est récolté par les maraîchers pour être commercialisé par la coopérative « Les petits producteurs » située à un kilomètre de là.

Afin d’assurer une activité à ces producteurs en hiver, ceux-ci sont également vendeurs dans les magasins de la coopérative. Quel regard portent-ils sur leur activité avec le recul ? La réalité financière est dure, répondent-ils, mais le plaisir et l’intérêt donné à la nature, aux gens et aux quartiers locaux sont bien présents.

Non loin de là, un magasin « Les petits producteurs », point de rencontre des adeptes du circuit-court. Y règnent convivialité et bonne humeur. Il fait partie du réseau d’épiceries donnant accès à des produits bio à des prix accessibles pour le plus grand nombre. Ce système de distribution permet aux consommateurs de sortir de la logique de supermarchés et d’assurer une rémunération correcte aux maraîchers. Quatre magasins de ce type ont pu voir le jour et ont permis la création d’une vingtaine d’emplois. Cependant, les habitudes de consommation en grande surface ont la peau dure et le modèle prend du temps à atteindre la masse critique de clientèle pour être durable. L’une des boutiques a dû fermer ses portes il y a peu. Cette fragilité est une réalité à prendre en compte.

Photo : Idrisse Hidara

Direction : les écoles. Des actions comme « Cantines durables » et « Potage-collation » permettent aux établissements scolaires de s’approvisionner directement auprès des structures locales mais également de sensibiliser les enfants aux produits de saisons. En région liégeoise, 16 écoles permettent à 3800 enfants de recevoir un potage à la place de leur traditionnelle collation trop sucrée. Ces soupes bio et locales sont produites à flux tendus par deux entreprises de formation en économie sociale, CISP Échafaudage et Le Cortil. Les préparations sont ensuite distribuées à vélo par une association d’économie sociale et solidaire, Rayon 9, spécialisée dans les livraisons cyclo-urbaines. 

L’effort de sensibilisation ne s’arrête pas aux petits écoliers. Depuis sept ans, le festival « Nourrir Liège » est organisé, rassemblant plus de 150 partenaires et proposant une centaine d’activités dans différents lieux de la ville. Atelier « main dans la terre », chantiers collectifs, ciné-débats, conférences, marchés et forum de clôture étaient à l’affiche de l’édition 2023.

Photo : Marie Russillo - Inspire Lalibre.be

Perspectives face au gigantisme

La crise sanitaire de 2020 avait permis aux producteurs de resserrer les liens avec les consommateurs locaux, contraints de s’approvisionner le plus près possible de leur domicile. Cependant, depuis le retour à la « normale », le consommateur a boudé les circuits courts. Selon les agriculteurs, la situation serait même pire qu’avant. La création d’alternatives durables, si elle est à terme la seule voie possible, est loin d’être un long fleuve tranquille. Elle requiert une implication et un effort constants des différents acteurs afin de porter la dynamique. Ainsi, pour encourager le développement de ce secteur, plusieurs organismes liégeois proposent des cursus de façon continue ou en alternance.
Au sein de la ceinture alimentaire, le projet Arlette fait le lien entre les personnes qui souhaitent se former aux divers métiers qui existent autour de l’alimentation durable. De plus, un « Food Policy Council » a également été créé en décembre 2022 regroupant 120 membres du secteurs public et privé. Il s’agit de mettre en place une gouvernance alimentaire et de permettre aux divers acteurs du territoire d’avoir la connaissance suffisante pour travailler sur le développement d’une alimentation durable. 

C’est en promouvant le développement de producteurs de filières courtes et durables qu’une souveraineté alimentaire peut voir le jour. C’est aussi la condition sine qua non à la préservation de la biodiversité nécessaire au maintien des ressources alimentaires. À l’heure où le rapport du GIEC affirme que 3,3 à 3,6 milliards de personnes sur Terre sont vulnérables face au changement climatique, repositionner l’agriculture au centre des débats et repenser son fonctionnement au niveau local est primordial pour assurer une forme d’autonomie face au gigantisme.

En chiffres

  • 20 coopératives citoyennes créées
  • Des soupes bios et locales distribuées gratuitement à 2800 enfants, deux fois par semaine, pour remplacer leurs collations sucrées
  • Un nombre de maraîchers passé de 3 à 100 en 10 ans
  • 120 membres engagés dans le conseil local de politique alimentaire

En chiffres

  • 20 coopératives citoyennes créées
  • Des soupes bios et locales distribuées gratuitement à 2800 enfants, deux fois par semaine, pour remplacer leurs collations sucrées
  • Un nombre de maraîchers passé de 3 à 100 en 10 ans
  • 120 membres engagés dans le conseil local de politique alimentaire
Photo : Marc Verpoorten